Une montée en considération au fil du temps

Introduction

Aujourd’hui, le patrimoine naturel est définit par l’UNESCO comme :

“Les spécificités naturelles, les formations géologiques ou de géographie physique et les zones définies qui constituent l’habitat d’espèces animales et végétales menacées, ainsi que les sites naturels qui présentent un intérêt sur le plan scientifique, dans le cadre de la conservation ou en termes de beauté naturelle. Il comprend les aires naturelles protégées privées et publiques, les zoos, les aquariums et les jardins botaniques, les habitats naturels, les écosystèmes marins, les sanctuaires, les réserves, etc.” (1)

Cette définition a été élaborée en 2009 par l’UNESCO, mais comment sommes-nous parvenus à cette définition et la considération actuelle du patrimoine naturel ?

Selon Jean-Claude Lefeuvre (2) la notion de “patrimoine naturel”  tient son origine de la politique de préservation d’espaces naturels à partir des années 1850 en France. La préservation de ces espaces naturels était liée aux notions de transmission et d’héritage, à cette époque la notion de patrimoine naturel n’existait pas encore mais elle était implicitement liée à cette politique (Lefeuvre 1990). Par exemple, le premier espace à bénéficier de cette protection fut la forêt de Fontainebleau. A l’époque, l’Administration des forêts souhaitait y développer la production de bois mais, pour développer cette activité il fallait implanter de nouvelles essences de bois et par conséquent modifier le paysage. Plusieurs artistes dont Théodore Rousseau, célèbre artiste-peintre paysagiste, se sont opposés au projet et ont réussi à préserver une partie de la forêt qualifiée alors de réserve artistique en 1853 (2).

Puis au début des années 1900 la notion de “monument naturel” apparaît dans la loi du 21 avril 1906, cette loi vise à organiser “la protection des sites et monuments naturels de caractère artistique”.  La dimension artistique est encore associée au patrimoine naturel et fait écho au statut de réserve artistique des années 1850 qui avait été attribué à la forêt de Fontainebleau. L’objectif de cette loi du 21 avril 1906 était de compléter la loi de 1887 qui prévoyait uniquement “la conservation des monuments historiques et des objets d’art” sans tenir compte des espaces naturels à préserver.

En revanche le terme de “monument naturel” a provoqué des réticences puisque “monument” est souvent associé dans la langue française à une œuvre humaine (2). Ce terme est pourtant repris dans la loi du 2 mai 1930 qui réorganise celle de 1906, en y ajoutant des niveaux de protection : l’inscription et la classification. (Abrogée en 2000 pour être codifiée aux articles L. 341-1 à L. 341-22 du Code de l’environnement).

Le terme de patrimoine naturel tel qu’on le connaît aujourd’hui apparaît avec la création des parcs naturels régionaux en 1967. En effet selon le décret du 1er mars 1967 :

“Le territoire de tout ou partie d’une ou de plusieurs communes peut être classé en “parc naturel régional” lorsqu’il présente un intérêt particulier par la qualité de son patrimoine naturel et culturel […] et qu’il importe de le protéger et de l’organiser”

Cependant ce décret ne donne toujours aucune définition du patrimoine naturel, ce n’est qu’en 1972 qu’il sera précisé et défini (3). À Paris, du 17 octobre au 21 novembre 1972 se tient la Conférence générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, (en anglais : United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization, UNESCO) et à l’issue de cette conférence est adoptée : La Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. D’après l’article 2 de la Convention (4), sont considérés comme patrimoine naturel :

  • les monuments naturels constitués par des formations physiques et biologiques ou par des groupes de telles formations qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue esthétique ou scientifique,
  • les formations géologiques et physiographiques et les zones strictement délimitées constituant l’habitat d’espèces animale et végétale menacées, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation,
  • les sites naturels ou les zones naturelles strictement délimitées, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science, de la conservation ou de la beauté naturelle.

Cette définition adoptée par les Etats membres en 1972 est aujourd’hui encore la définition officielle de l’UNESCO pour la notion de patrimoine naturel citée en début de page.

A Tours les préoccupations autour de la Loire et du patrimoine naturel ont débuté à la fin des années 80. Tout commence avec un premier protocole d’accord entre l’État, l’agence de l’eau Loire-Bretagne et l’établissement public d’aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA). Il était alors question d’un programme de réalisation de travaux qui garantissait une meilleure protection contre les crues et un meilleur soutien des étiages. Pour cela, quatre barrages devaient être construits sur la Loire et ses affluents : le Veurdre et Naussac 2 sur l’Allier, Chambonchard sur le Cher et Serre de la Fare dans la Haute-Vallée de la Loire.

Mais, très vite en 1989, l’association SOS Loire Vivante se crée pour s’opposer au projet et plus particulièrement au projet de barrage de Serre de la Fare. Partant d’une initiative locale, l’association a finalement obtenu en 1994 l’abandon total du projet de barrage de Serre de la Fare.

De plus, le Plan Loire Grandeur Nature (PLGN) mis en œuvre par l’Etat la même année révise complètement les orientations d’aménagement de la Loire : les aménagements lourds sont abandonnés au profit de la protection du paysage (5).

Cette politique d’aménagements lourds est définitivement écartée à partir de 1995 où Jean Germain devient maire de Tours et succède à Jean Royer. Principalement lors de son premier mandat, Jean Germain se préoccupe davantage des espaces non construits et s’éloigne de la vision fonctionnaliste (considérant le fleuve comme purement utilitaire) Loire du fleuve portée par son prédécesseur.

En parallèle, les politiques publiques nationales évoluent : la notion de paysages à préserver commence à être de plus en plus prise en considération. En 1993 la loi de protection et de mise en valeur des paysages entre en vigueur et les ZPPAU deviennent les ZPPAUP : Zones de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager. Cet outil d’urbanisme devient un moyen concret de préservation du patrimoine paysager sur le territoire. En revanche Tours n’a pas mis en place de ZPPAUP sur son territoire, la mise en valeur du patrimoine naturel de la Loire prend différentes formes et parfois moins formelles.

En 1995 débute notamment le projet de la Loire à Vélo, une vaste voie cyclable de 900 km reliant la région Centre à la Loire Atlantique en passant par Tours. Ce grand projet permet aujourd’hui aux locaux et aux touristes de visiter et de découvrir les paysages du patrimoine ligérien sous un angle différent. C’est une forme de mise en valeur informelle dans le sens où ce n’est pas de l’ordre de l’urbanisme réglementaire mais de l’aménagement.

La valorisation se poursuit en 1996 avec la création du parc naturel régional Loire Anjou Touraine. Le parc contribue à la préservation des espaces naturels mais également à la renommée et à la promotion du territoire ligérien.

Parc naturel régional Loire Anjou Touraine, Source : Langeais.fr

La mise en valeur patrimoniale de la Loire est donc étroitement liée au développement des loisirs et du tourisme, elle ne se fait pas seulement au travers des outils réglementaires.

Ceci peut s’expliquer par le fait que le patrimoine naturel soit en constante évolution, il est donc difficile de le protéger avec des outils réglementaires qu’il faudrait constamment réviser (6). Il est également très complexe de part les éléments qui le constituent, c’est du cas par cas la loi ne peut pas être fidèle à toutes ces diversités

Le 15 novembre 2012, le préfet de la Région Centre a adopté le Plan de gestion du site UNESCO du Val de Loire. D’après le Plan de Gestion du site UNESCO du Val de Loire (adopté en 2012 par le préfet de la Région Centre) différents outils de protection ou d’inventaire du patrimoine naturel ont tout de même été mis en place : des réserves naturelles, des arrêtés de protection de biotope et un réseau Natura 2000 où les zones relèvent de la Directive Habitats et de la Directive Oiseaux. Ces outils de protection réglementaires ont été mis en œuvre suite à la labellisation patrimoine mondial de l’UNESCO du Val de Loire en 2000, cette inscription implique un engagement de la France à préserver la Valeur Universelle Exceptionnelle (VUE) de ce territoire. Mais, d’après le Plan de Gestion du Val de Loire (7), la France ne dispose pas d’outils réglementaires spécifiques:

“La France ne s’est pas encore […] dotée d’outils juridiques de protection spécifiques. Dans l’état actuel des choses, cette VUE ne peut être protégée que grâce aux outils existants de la réglementation française destinés à préserver les monuments historiques et les sites.”

Dans le cadre du périmètre UNESCO l’Etat intervient à plusieurs titres dans la planification territoriale lorsque cela concerne la politique des paysages. Le SCOT et le PLU relèvent bien de la compétence des collectivités mais l’Etat porte à la connaissance des collectivités les enjeux qu’il souhaite voir pris en compte dans ces documents. De plus, L’État participe à l’élaboration des documents de planification en tant que « personne publique associée ». Il y a donc une attention particulière à la prise en compte des enjeux de paysage par les communes situées dans le périmètre UNESCO (7).

De même avec le Plan Loire Grandeur Nature initié en 1994 le fleuve est sujet à de nombreux travaux d’entretien et de restauration (en partie pour la prévention des crues), les travaux dans le périmètre UNESCO sont obligatoirement soumis à une étude paysagère imposée par l’Etat. L’étude doit mettre en évidence l’impact potentiel des travaux sur le paysage et les mesures de réduction d’impact choisies pour les éviter (7).

La mise en valeur du patrimoine naturel ligérien se fait donc bien plus au travers des orientations de l’UNESCO faute d’outils juridiques de protection spécifiques. La labellisation UNESCO est un tournant majeur dans la protection du patrimoine naturel de la Loire. 

Conclusion

Le patrimoine naturel en France est aujourd’hui défini législativement dans le code de l’environnement (2000), il s’entend  comme :

« Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Le patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage ».

Il est ainsi rattaché au Ministère de la transition écologique à l’échelle nationale, dépend de la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement de la région Centre-Val-de-loire (DREAL), et plus particulièrement de la Direction Départementale des Territoires d’Indre-et-Loire (DDT).

Il est ainsi possible de constater une séparation de la notion de patrimoine entre culture, dépendant du code du patrimoine, et nature, dépendant du code de l’environnement. La complexification de cette notion a donc aussi amené à une complexification de sa gestion. De même que l’apparition en 2016 des Plans de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine (PVAP), remplaçant initialement les ZPPAU, relève eux du code de l’urbanisme, tentant de rassembler patrimoine naturel et culturel.

Au travers des définitions législatives du patrimoine, celui-ci est considéré dès lors que ses différentes formes “présentent un intérêt”, dans le cas du patrimoine culturel, ou dans le cas du patrimoine naturel “qu’il génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage”.

Le Val-de-Loire, labellisé Unesco en 2000 au titre de paysage culturel évolutif rassemble pour la première fois ces deux notions. De quoi s’agit-il ? Quels impacts sur les politiques publiques, et plus concrètement que se passe-t-il du côté de la mise en œuvre de projets sur le territoire de l’agglomération tourangelle ?


Bibliographie

1.     UNESCO. Glossaire FR [Internet]. [cité 14 déc 2020]. Disponible sur: http://uis.unesco.org/fr/glossary-term/patrimoine-naturel

2.     Lefeuvre J-C. De la protection de la nature à la gestion du patrimoine naturel [Internet]. 1990 [cité 14 déc 2020]. Disponible sur: https://books.openedition.org/editionsmsh/3778

3.     le Bot J-M. Exister comme patrimoine. Le cas du “ patrimoine naturel ” [Internet]. 2019. Disponible sur: https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02092226/document

4.     UNESCO. Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel [Internet]. [cité 14 déc 2020]. Disponible sur: https://whc.unesco.org/fr/conventiontexte/

5.     SOS Loire Vivante.org. Les Grandes Etapes d’Evolution et des Luttes [Internet]. [cité 14 déc 2020]. Disponible sur: https://www.rivernet.org/loire/soslv/etapes86-maintenant_f.htm

6.     Verdelli L. L’inscription du Val de Loire au patrimoine mondial & l’invention d’une gouvernance territoriale. 2020 oct 8; Conseil départemental de l’Indre et Loire, Salle Kléber-Loustau.

7.     DREAL Centre-Val-de-Loire. Plan de Gestion du Val de Loire [Internet]. 2012 [cité 6 oct 2020]. Disponible sur: http://www.centre-val-de-loire.developpement-durable.gouv.fr/le-plan-de-gestion-du-val-de-loire-a2937.html

Références connexes